Apports et conclusions sur les aspects liés au besoin de sens du et au travail

Besoin de sens du travail : de manière générale :

99% de personnes interrogées déclarent « important d’avoir un travail qui fait du sens ». 80.1% déclarent « Tout-à-fait » et 18.9% « Plutôt oui ». Seul 1% des personnes interrogées déclarent « Plutôt non » ou « Non ». Ce score quasi « soviétique » atteste d’un véritable besoin de comprendre le sens de la chose à réaliser. Donner ou redonner du sens au travail devient ainsi un enjeu majeur pour les managers et les entreprises. Il est aussi et bien évidemment question de choix personnels lorsque l’on parle de sens au travail. Car, si le besoin de sens au travail est perçu à des degrés différents, autant par les « Employés » que par les « Dirigeants », il est de la responsabilité des entreprises de s’alarmer de cette statistique et de prendre conscience de cela. Bien que le sentiment d’avoir un travail qui fasse du sens soit une perception subjective, les entreprises ont dans leurs mains toute la partie qui touche à l’environnement de travail : engager les bonnes personnes pour faire le bon travail, composer les bonnes équipes pour atteindre les bons challenges, prendre en compte les préférences de comportement des personnes (Vaucher & Muth, 2020), s’assurer d’un environnement sain, compenser ou récompenser d’éventuels travaux répétitifs, éviter tant que faire se peut les situations d’attentes, etc…. (Bourion, Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, 2016). Ce n’est qu’à ce prix, que le manque de sens et par conséquent l’ennui pourront être repoussés dans leur retranchement. 

Besoin de sens au travail : le rôle de l’appartenance à des groupes de professionnels reconnus :

67.2% de personnes interrogées déclarent « Important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus ». 27.4% déclarent « Plutôt non » et 5.4% « Non ». Examinons de plus près ces statistiques : La possibilité de répondre « Plutôt non » se trouve dans un ensemble de 4 questions. Parmi celles-là, les options de réponses « Tout-à-fait » et « Non » ne sont pas ambiguës. En revanche, le groupe de suggestions commençant par « Plutôt » pourraient avoir une influence sur la réponse. Ne dit-on pas parfois « faire les questions et les réponses » (Bellenger & Couchaere, 2018). En l’occurrence, les personnes ayant répondu « Plutôt non » à la question « Pour moi, ce qui est important c’est d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus ? » peuvent avoir interprété que cela a tout-de même une importance, mais minime. Partant de ce principe, et s’il fallait créer une échelle d’interprétation, celle-ci se présenterai sous cette forme :

Pour moi, ce qui est important c’est d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus ?  :

À 100 %

=

Tout-à-fait

18.4%

À 66%

=

Plutôt oui

48.7%

À 33%

=

Plutôt non

27.4%

À 0%

=

Non

5.4%

Aussi, si l’on fait une médiane entre 67.2% et 94.6%, il s’agirai de 80.9% de personnes sondées pour lesquelles il est important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus. 

Toutefois, et sous l’angle de l’analogie des quatre réponses possibles sur les 2 questions Q52 (Pour moi ce qui est important c’est d’avoir un travail qui fait du sens (je comprends mon rôle dans ce que je fais) et Q54 (Pour moi, ce qui est important c’est d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus ?), on peut dire que les personnes sondées ont voulu marquer une différence entre le sens du travail et le besoin d’appartenance à un groupe reconnu.

Ainsi, on en déduira qu’entre 80.9% et 99 % les personnes interrogées recherchent un travail qui fait du sens, et qu’entre 67.2% et 80.9% il est important pour elles de faire partie d’un groupe de professionnels reconnus.

L’appartenance à un groupe est un sentiment provenant du concept d’identification sociale, pilier historique de la psychologie sociale (Tajfel, 1982 ). Dans le monde de l’organisation (du travail), ce concept est devenu un des éléments clé de la recherche en management des organisations, pour expliquer des phénomènes de groupes tels que la cohésion sociale (Tajfel, 1982 ) (Turner, 2010), les normes (Berne, 2020), l’engagement (Pratt M. G., 2000), ou encore la coopération (Laugeri, 2015) (Chédotel, 2004). 

Il faut également faire la différence entre l’appartenance à un groupe de professionnels reconnus et :

  • Une profession utile aux autres qui rend des services et permet de recevoir des signes de reconnaissance pour les services donnés.
  • Une profession moins « noble » par son action mais présentant plein d’intérêts multiples, et qui permet également de recevoir de nombreux signe de reconnaissance (Baumann, 2018). 

Ainsi, pour que le travail ait un sens et pour éviter l’ennui, il s’agirait pour le travailleur, d’associer « signification » et « perception », autrement dit, ce qui reflète son expérience passée et son état émotionnel actuel, associé à son environnement de travail, au groupe auquel il appartient et à la perception qu’il en a. Pour Pratt et Ashforth (Pratt, Ashforth, Cameron, Dutton, & Quinn, 2003), le sens que donne un individu à son travail et à son milieu de travail est lié à sa propre identité, ce qui rejoint les théories de Brief et Nord :

« La compréhension et l’intention : en somme, le sens d’un processus socialement imbriqué comme le travail, est affecté par un contexte social complexe et dynamique, pendant que les réalités concrètes agissent directement sur les sens, leur compréhension est influencée par ces données et les intentions et les attentes qu’on a pour le travail. Ceux-ci, à leur tour sont influencés par l’ensemble complexe des forces que nous avons décrites comme le système social. Ainsi, le sens du travail n’est pas simplement les desseins, plus les conditions concrètes. Le sens du travail reflète plutôt les deux et leurs interrelations dynamiques. Le sens et la compréhension des aspects concrets du travail sont affectés par les desseins. Les desseins pour faire quelque chose sont affectés par les expériences concrètes, aussi bien que par ce qu’on a indirectement appris en observant ou en écoutant les autres. Et, pour répéter un point majeur, les deux, les desseins et les réalités concrètes, sont eux-mêmes dynamiquement interreliés par les événements sociaux et économiques passés, et les institutions »  (Brief & Nord, 1990). 

Avoir un travail qui fait du sens permet-il d’être toujours occupé ? 

27.7% des personnes interrogées à ce sujet effectuent tout le temps des travaux intéressants et 44.1% durant presque toute la journée. 28.2% des personnes interrogées effectuent la moitié du temps de travail/rarement (1-2 H/jour) des travaux intéressants (20.8% + 7.4%).

Regardons comment se répartissent les personnes qui pensent important d’avoir un travail qui fait du sens : 

Mon travail fait tout-à-fait sens :

  • 60.4% (23.8%+36.6%) estiment avoir un travail qui a du sens tout le temps/presque toute la journée.
  • 19.9% (14.9%+5%) estiment avoir un travail qui a du sens entre la moitié du temps de travail et 1-2 heures par jour.

Mon travail a « Plutôt oui » du sens :

  • 10.9% (4.0%+6.9%) estiment avoir un travail qui a du sens tout le temps/presque toute la journée.
  • 7.9% (5.4%+2.5%) estiment avoir un travail qui a du sens entre la moitié du temps de travail et 1-2 heures par jour. 

De manière générale, il ressort de cette observation que plus de la moitié du temps de travail, 71.8% des personnes interrogées, effectuent des travaux intéressants (Oui, tout le temps – Souvent (durant presque toute la journée de travail). 

Toutefois, en analysant de manière plus détaillée, avoir un travail qui fait du sens n’est pas toujours aligné avec la réalité du terrain, puisque 28.2% des personnes sondées déclarent tout-de-même effectuer rarement ou au maximum la moitié de leur temps de travail, des tâches intéressantes. 

Il pourrait s’agir d’un vœu pieux qui n’est pas toujours exaucé. Autrement dit, effectuer un travail intéressant ne dépend pas seulement de caractéristiques objectives, mais également de la valeur ou du sens que la personne lui accorde en fonction de ses ancrage sociaux. En référence à cela et dans une expérience rendue célèbre, les psychologues Bruner et Goodman ont demandé à des enfants d’évaluer la taille d’une pièce de monnaie et celle d’un disque en carton de même surface. Les bambins avaient tendance à surévaluer la taille de la pièce de monnaie. En outre, cette surestimation était d’autant plus importante chez les enfants de milieux défavorisés (Bruner & Goodman, 1947). 

Ainsi, avoir un travail intéressant, n’est pas forcément lié à effectuer un travail intéressant. Au niveau personnel, le fait « d’avoir » un travail intéressant est relié à des notions d’utilité et d’identification sociale (salaire, représentativité sociale, etc…), tandis qu’exercer un travail intéressant relève du besoin de stimuli, de la congruence entre ses capacités et leurs utilités pour servir le but du travail à réaliser, de l’adéquation entre ses préférences de comportement et le travail à réaliser, etc…. Pour expliquer cela, on peut faire un lien et y voir des interprétations avec la notion de dissonance cognitive. Cette théorie suggère que de gros écarts contradictoires entre une situation réelle et la perception mentale de cette même situation, provoque une dissonance extrêmement difficile à supporter (Festinger, A theory of cognitive dissonance, 1957) 

Cela rejoint également ce que Csíkszentmihályi décrit comme le burn in ou pour Bourion, le bore-out syndrom (Bourion, 2016) (voir également § “Burn-out”, “Burn-in”, “Boreout syndrom”, « Brown-out » : Quelles différences ou similitudes avec l’ennui au travail ?).

Pour Csíkszentmihályi, il s’agit du phénomène « opposé » au burn-out et qui concerne souvent les personnes ne pouvant pas mettre leurs compétences acquises au service de l’organisation qui les emploie, ou qui ont un niveau d’exigences imposées tellement bas, que la réalisation de leur travail n’a pas (ou plus) de sens. Dans cette situation, Csíkszentmihályi décrit des périodes d’ennui, puis de dépression qui se terminent dans ce qu’il appelle la zone de burn-in. (Csikszentmihalyi, 2004). 

Avoir un travail qui fait du sens et se sentir désœuvré, est-ce possible ? 

De manière générale, 91.6 % des personnes interrogées se retrouvent jamais ou rarement dans des situations, où elles ne savent pas quoi faire. Parmi celles-là, 57.9% « Jamais » et 33.7% « Rarement (1 à 2 heures de travail/jour) ». 8.4% se retrouvent dans cette situation plus de la moitié de la journée, voire tout le temps. 

Il est intéressant ici de regarder la proportion en % que représente la notion de 1 à 2 heures par jour de travail. Sur une moyenne européenne hebdomadaire de 36.4 heures (Direction de l”information légale et administrative, 2018), soit 7.28 heures/jour, cela représente entre 13.7% et 27.4% du temps, soit un indicateur médian de 20.55% du temps. 

Cela indiquerait que 33.7% des personnes interrogées se retrouvent durant 20.55% de leur temps de travail dans des situations où elles ne savent pas quoi faire ou sont désœuvrées. 

  • S’agissant de la mise en perspective avec le sens du travail :

Mon travail fait « tout-à-fait » du sens :

  • 73.7% (26.2%%+47.5%) s’estiment rarement (1-2h/jour) et jamais dans une situation où ils se sentent désœuvrées, ne sachant quoi faire.
  • 6.4% (1%+5.4%) s’estiment souvent-presque toute la journée de travail dans une situation où ils se sentent désœuvrées, ne sachant quoi faire. 

Mon travail fait « Plutôt oui » du sens

  • 16.8% (6.9%+9.9%) s’estiment être désœuvrées, ne sachant quoi faire tout le temps/presque toute la journée.
  • 2 % (1%+1%) s’estiment être désœuvrées, ne sachant quoi faire tout le temps ou plus de la moitié du temps de travail. 

Ces résultats corroborent l’existence du bore-out (Voir § La découverte du « bore-out syndrom » en France) et (Bourion, 2016), et/ou potentiellement de l’épuisement professionnel par l’ennui (Werder & Rothlin, 2008). Bien qu’il faille admettre qu’un individu ne peut pas être tout le temps occupé à 100% au travail, ces résultats interrogent tout-de-même. Au regard de cette question, serait-il de la responsabilité de l’employeur ou de l’employé de s’occuper à 100% ? Partant du principe que l’employeur a le rôle de fournir « la quantité » de travail et l’employé « la qualité » lors de la production « des quantités » requises. Dans cette subtile équation, où se situe l’intérêt, le sens, de la chose à réaliser ? 

Si l’employeur impose le sens du travail selon son point de vue, l’employé lui opposera sa propre vision des choses. Si à l’inverse, l’employé décide du sens qu’il donne à la tâche et l’ordonne à son employeur, ce dernier fera valoir ses principes et obligations. Ainsi, cela rejoint les notions de morale et d’éthique (Conche, 2003) (Voir § s’ennuyer au travail, est-ce moral ou éthique ?), et chacun aura son bon sens, se gardera le droit de juger le bon sens de l’autre. Il n’y probablement pas de place pour l’opposition des sens du travail du point de vue de l’employeur ou de l‘employé, mais un chemin à trouver dans le dialogue de sens que chacun cherche, tout cela au service du client. 

  • S’agissant de la mise en perspective avec l’importance d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus :Les personnes qui pensent important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus, se trouvent désœuvrées et ne sachant quoi faire :
  • Jamais : 57.9%, dont 42.6% pensent qu’il est « Tout-à-fait/plutôt oui » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus et 15.4% « Plutôt non/non ».
  • 1-2 heures par jour : 33.7% dont 21.3% pensent qu’il est « Tout-à-fait/plutôt oui » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus et 12.4% « Plutôt non/non ».
  • La moitié du temps de travail : 6.4% dont 2.5% pensent qu’il est « Tout-à-fait/plutôt oui » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus et 4% « Plutôt non/non ».
  • Souvent (presque toute la journée de travail) :2% dont 1% pensent qu’il est « Tout-à-fait/plutôt oui » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus et 1% « Plutôt non/non ». 

On peut donc interpréter ici que 42.1% des personnes interrogées se trouvent entre une heure et la moitié du temps de travail « désœuvrées ou ne sachant quoi faire ». Soit, et toujours en relation avec une moyenne de 7.28h/jour, entre 13% et 49% du temps de travail.

Pour rappel, les personnes interrogées sur les questions 1 à 28 du questionnaire sur la perception de l’ennui (Gana & Akremi) déclaraient s’ennuyer :

  • Plus de la moitié du temps de travail : 32.9%
  • Moins de la moitié du temps de travail : 50 %
  • Jamais : 17.1 % 
Appartenir à un groupe de professionnels reconnus permet-il de toujours avoir une activité intéressante ?

 

27.7% des personnes interrogées effectuent tout le temps des travaux intéressants et 44.1% durant presque toute la journée. 28.2% des personnes interrogées effectuent la moitié du temps de travail/rarement (1-2 H/jour) des travaux intéressants (20.8% + 7.4%).

Regardons comment se répartissent les personnes qui pensent important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus : 

C’est tout-à-fait important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus :

  • 13.3% (6.4%+6.9%) estiment tout-à-fait important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus pour avoir des tâches intéressantes à faire (Oui tout le temps – Souvent (Durant presque toute la journée de travail)).
  • 5.5% (2%+3.5%) estiment tout-à-fait important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus assez souvent (Environ la moitié de mon temps de travail quotidien) – Rarement (1 à 2 heures par journée de travail)

C’est « Plutôt (oui) » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus :

  • 36.7% (14.9%+21.8%) estiment « Plutôt oui) » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus pour avoir des tâches intéressantes à faire « Oui tout le temps – Souvent (Durant presque toute la journée de travail)).
  • 11.9% (6.9%+1.5%) estiment « Plutôt oui » important d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus pour avoir des tâches intéressantes à faire « Assez souvent » (Environ la moitié de mon temps de travail quotidien) – « Rarement » (1 à 2 heures par journée de travail) 

Ces résultats révèlent que l’importance d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus passe après le sens au travail (mon rôle). Ainsi, l’hypothèse d’un choix de métier en fonction de la représentation sociale qu’il peut avoir, ne suffira pas à donner du sens pour éviter l’ennui au travail ou le burn-in ou le bore-out syndrom (Voir § La découverte du « bore-out syndrom » en France) (Bourion, Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, 2016) 

Se pose également ici la notion de bullshit jobs, tels que David Graeber les décrits dans sa tribune intitulée « On the Phenomenon of Bullshit Jobs : A Work Rant » (Du phénomène des jobs à la con) (Graeber, 2013). Certains seraient-ils tentés d’accepter un job pour faire partie d’un groupe de professionnels reconnus, au détriment du sens du travail ? Les résultats de cette recherche tendraient à confirmer cela. 

Comparaison entre les hypothèses ci-dessous :
  • Quelle que soit la situation, je trouve toujours quelque chose d’intéressant à faire ou à voir)
    • Hypothèse A : Pour moi, ce qui est important c’est d’avoir un travail qui fait du sens (Je comprends mon rôle dans ce que je fais).
    • Hypothèse B : Pour moi, ce qui est important c’est d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus.

La mise en perspective et relation de ces résultats, confirmerait les théories sur l’ennui au travail et les constatations au sujet du bore-out syndrom (Bourion, Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, 2016) , puisque les personnes interrogées déclarent se trouver au travail à ne rien faire pendant des périodes pouvant aller entre 20.55% et 90% de leur temps de travail et être payées pour cela. (Voir § La découverte du « bore-out syndrom » en France). Cela converge également vers les résultats de cette recherche au travers des questions 1 à 28 au moyen de l’échelle de prédisposition à l’ennui (EDE) (Gana & Akremi) qui indique que 82.9% des personnes interrogées ressentent de l’ennui au travail.

 

Par ailleurs, il paraît nettement plus important pour les personnes interrogées d’avoir un travail qui fait du sens que d’appartenir à un groupe de personnes reconnues :

Pour moi, ce qui est important c’est d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus ?

Pour moi, ce qui est important c’est d’avoir un travail qui fait du sens (je comprends mon rôle dans ce que je fais)

Tout-à-fait

Plutôt oui

Plutôt non

Non

Tout-à-fait

Plutôt oui

Plutôt non

Non

6.40%

14.90%

5.40%

1.00%

1.00%

1.00%

0.00%

0.00%

6.90%

21.80%

13.40%

2.00%

5.40%

1.00%

0.00%

0.00%

2.00%

9.90%

6.90%

2.00%

26.20%

6.90%

0.50%

0.00%

3.50%

2.00%

1.50%

0.50%

47.50%

9.90%

0.00%

0.50%

38

98

55

11

162

38

1

1

18.80%

48.50%

27.20%

5.50%

80.20%

18.80%

0.50%

0.50%

 

Comparaison entre les réponses aux deux questions ci-dessus : 

Ceux qui pensent « Tout-à-fait/plutôt oui » :

  • 99% pour le sens (rôle) au travail
  • 67.3% pour l’appartenance à un groupe de professionnels reconnus

Ceux qui pensent « Plutôt non/non :

  • 1% pour le sens (rôle) au travail
  • 32.7% pour l’appartenance à un groupe de professionnels reconnus 

Cela tendrait également à confirmer qu’être un professionnel reconnu ne fasse plus autant rêver. Est-ce les métiers qui sont devenus nuls ? Et la mondialisation, la bureaucratisation, la financiarisation, la numérisation et la quantification qui auraient appauvri les métiers qui faisaient rêver ? (Cassaly, 2017) Ou serait-ce un mix des demandes des nouvelles générations à la recherche de sens au travail avec l’arrivée de ces « bullshit jobs » (Graeber, 2013) ? Poser la question, c’est souvent y répondre, et l’interprétation des résultats ci-dessus semble converger vers cette observation. 

S’ennuie-t-on au travail par injonction ou par choix délibéré ? 

Ici et en lien avec le manque de sens au travail, je vais faire quelques hypothèses, pour savoir si on s’ennuie potentiellement davantage par injonction ou par choix personnel. Autrement dit, dans la première hypothèse « je m’ennuie à mourir et je ne l’ai pas choisi », on parle essentiellement de bore-out syndrom (Bourion, Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, 2016). Dans ces situations, l’employé serait contraint d’accepter un certain nombre de conditions issues de son cahier des charges et/ou d’ordres contractuels ou donnés par un manager. Il s’agirait de l’ennui au travail qui rend malade (Baumann, Le bore-out – quand l’ennui au travail rend malade, 2016).

Alors que dans la deuxième hypothèse, « je m’ennuie à mourir et je l’ai choisi », on parle surtout de brown-out (Dhollande-Monnier, 2018) (Lacan A. , 2019). Le salarié ne trouve pas de sens à la tâche à réaliser, il comprend mal sa « mission » et/ou n’arrive pas à mettre en perspective les tâches qu’il doit effectuer (Baumann, 2018) 

Pour tenter de séparer le bon grain de l’ivraie[1], l’analyse des réponses aux questions suivantes :

  • Q5 : On me demande souvent de faire des choses qui n’ont pas de sens, et
  • Q12 Je suis rarement enthousiasmé par ce que j’entreprends au travail, 

nous indique que les gens rarement enthousiasmés par ce qu’ils entreprennent au travail, sont plus nombreux que ceux à qui on demande d’effectuer un travail ne faisant pas de sens (+ 10.4%). On peut déjà en déduire qu’il s’agit plus souvent de cas de brown-out (« je m’ennuie à mourir et je l’ai choisi »), que de bore-out syndrom (« je m’ennuie à mourir et je ne l’ai pas choisi »). 

Pour analyser plus finement ces résultats, estimons combien d’heures par jour représentent ces pourcentages. Sur une moyenne européenne hebdomadaire de 36.4 heures (Direction de l”information légale et administrative, 2018), soit 7.28 heures/jour, cela représente en moyenne 1.43 heures (environ 1 heure et 25 minutes) par jour durant lesquelles on demande aux personnes interrogées de faire des choses qui n’ont pas de sens (bore-out syndrom). Pour les personnes ayant répondu être rarement enthousiasmées par ce qu’elles entreprennent, cela représente en moyenne 1.94 heures (1 heure et 56 minutes) par jour (brown-out). 

Ces chiffres sont à mettre en relation avec ceux issus du questionnaire EDE (Gana & Akremi) sur la perception de l’ennui, et composent probablement une partie des 82.9% de personnes interrogées ayant répondu percevoir de l’ennui au travail. 

Sens du travail : Analyse par sous-groupe

 

L’analyse de la question du sens du travail au travers des sous-groupes « Hommes vs Femmes », « Dirigeants vs Exécutants » et « Seniors vs Juniors », nous permet de déceler si des phénomènes spécifiques peuvent dépendre de l’un de ces sous-groupes et qu’elles en seraient les raisons et/ou les hypothèses possibles. 

Ainsi des analyses individuelles des questions suivantes ont été réalisées :

  • Q52 : Pour moi ce qui est important c’est d’avoir un travail qui fait du sens) je comprends mon rôle dans ce que je fais)
  • Q54 : Pour moi, ce qui est important c’est d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus ?
  • Q5 : On me demande souvent de faire des choses qui n’ont pas de sens
  • Q12 Je suis rarement enthousiasmé par ce que j’entreprends au travail 

La différence entre les catégories est souvent minime et l’établissement de relation de causalité est souvent peu aisée. Cela rejoint le « problème de Galton » du nom du chercheur qui à la fin du XIXème siècle évoqua la difficulté du manque d’indépendance entre les cas : si deux phénomènes A et B sont corrélés, cela peut signifier divers liens de causalité : A implique B, B implique A, ou encore un troisième phénomène C exerce un effet à la fois sur A et B (Vigour, 2005). 

Toutefois, des différences remarquables sont apparues dans certains sous-groupes : 

Principales observations remarquables pour le sous-groupe « Hommes-Femmes » 
  • Cela semble faire plus de sens pour les « Hommes » que pour les « Femmes » d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus (+10.3%). Cette observation ne surprend guère si on l’observe sous l’angle de l’humanité qui est divisée en deux groupes distincts, et qui a été façonnée par des années d’héritage du patriarcat (Bereni, Chauvin, Jaunait, & Revillard, 2020). Toutefois, des recherches complémentaires devraient être menées sur ce sujet spécifique pour pouvoir confirmer cela. 
Principales observations remarquables pour le sous-groupe « Dirigeants – Exécutants » 
  • Il semble plus important pour un « dirigeant » de faire partie d’un groupe de professionnels reconnus que pour un « employé » (+7.1%). Cette observation provient vraisemblablement du fait que le statut de « dirigeant » se réfère à un groupe spécifique de professionnels reconnus. 
  • On constate que dans la catégorie « Employés », 17.1% sont moins enthousiasmés par ce qu’ils entreprennent au travail que la catégorie des « Dirigeants ». S’il est difficile de formuler une explication plausible au sujet de cette importante différence, on peut en revanche imaginer un certain nombre d’hypothèses sur 3 axes : 
  1. De manière générale, il existe des travaux et des tâches qui sont peu enthousiasmants, autant pour les « Employés » que pour les « Dirigeants ».
  2. Il est possible que les « Dirigeants » soient peut attentifs aux besoins et attentes des collaborateurs au sujet de leurs préférences de comportement.
  3. Il y a une probabilité que les « Employés » acceptent de faire des travaux et des tâches peu enthousiasmants pour diverses « bonnes » raisons. 

S’agissant du point 1, existe-t-il des tâches généralement peu enthousiasmantes ?

Il est intéressant de se pencher sur la définition de l’adjectif « enthousiasmant » et plus particulièrement du mot « enthousiasme » : « Émotion puissante qui s’empare de quelqu’un à propos de quelqu’un ou de quelque chose et qui se manifeste par des signes extérieurs d’admiration, de contentement ; exaltation : Acclamer un orateur avec enthousiasme ». Un de ses synonymes est « l’excitation » (Larousse, 2022).

On peut imaginer que les personnes sondées ont perçus la signification du mot « enthousiasmant » comme un synonyme du mot « stimulant », puisque ce dernier a également comme synonyme « l’excitation » (Larousse, 2022). Ainsi cela rejoint les résultats trouvés en réponse à la question « Q39 : Avez-vous besoin d’être stimulé par votre travail ? » (Voir § Besoin de stimuli par le travail) 

Pour le point 2, il est possible que les « Dirigeants » soient peu attentifs aux besoins et attentes des collaborateurs au sujet de leurs préférences de comportement, en raison d’un accent mis sur l’objectif « financier », le « service client », les « délais », le « manque de ressources », etc… Ce faisant, ils ont tout loisir de créer de l’ennui pour les collaborateurs « Exécutants », qui se voient « contraints » d’effectuer des travaux qui ne sont pas stimulants. Dans ce cas, on peut poser l’hypothèse que l’entreprise « fabrique » de l’ennui et est créatrice de bore-out syndrom (Bourion, Le bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, 2016). 

Pour le point 3, il y a une probabilité que les Employés acceptent de faire des travaux et des tâches peu enthousiasmants pour diverses « bonnes » raisons. Ils acceptent en quelques sorte d’effectuer un travail peu enthousiasmant, peu stimulant, voire qui n’a pas de sens. On peut retrouver parmi « les bonnes raisons » toute une série de facteurs, tels que : le besoin du salaire, l’appartenance à un groupe de professionnels reconnus, la surqualification, la répétition, l’injonction, les situations professionnelles nécessitant beaucoup d’attente (dans le temps), etc… (Voir § “Burn-out”, “burn-in”, “boreout syndrom”, « Brown-out » : quelles différences ou similitudes avec l’ennui au travail ?) (Baumann, 2018). 

Principales observations remarquables pour le sous-groupe « Seniors-Juniors » 
  • Cela semble faire plus de sens pour les « Seniors » que pour les « Juniors » d’appartenir à un groupe de professionnels reconnus (+26.7%). Une des hypothèses pourrait aisément provenir de l’âge. En effet, avec le temps, les « Seniors » ont probablement créés de nombreux liens et dans de nombreux domaines. Ces liens profonds et parfois intenses peuvent apporter des signes de reconnaissance, et potentiellement créer une forme d’accoutumance.

[1] Cette expression est tirée de la parabole du semeur, dans l’Évangile selon Matthieu, XIII, 24 – 30 : En savoir plus sur : https://laculturegenerale.com/separer-le-bon-grain-de-livraie-origine-signification-definition

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